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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/288

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allions toujours six à six, et quelquefois tous ensemble, quand nous sortions de la ville pour aller au cours jusqu’au bois de Vincennes : je n’avais point de cheval à moi ; quelque riche brave, enfant de trésorier, m’en prêtait toujours un, quand il était question de faire de telles cavalcades.

La nuit, nous allions donner la musique aux dames, et fort souvent nous faisions des ballets que nous dansions aux meilleures maisons de la ville, où nous combattions toujours pour notre nouvelle vertu, à qui jamais l’on n’avait vu de semblable. Les bourgeois blâmaient nos galanteries ; les hommes de courage les approuvaient ; chacun en parlait diversement et selon sa passion. Au Louvre, au Palais et aux festins, nos exploits sont les entretiens ordinaires. Ceux qui veulent jouer quelque bon tour se rangent en notre compagnie ou réclament notre assistance. Les plus grands seigneurs mêmes sont bien aises d’avoir notre amitié, quand ils désirent punir de leur propre mouvement quelqu’un qui les a offensés, et nous prient de châtier son vice comme il faut. Néanmoins, avec le temps, notre compagnie perdit un peu de sa vogue : la plupart étaient forcés de s’en retirer, songeant à se pourvoir de quelque office pour gagner leur vie et à épouser quelque femme ; étant sur ce point-là, ils ne pouvaient plus se mêler avec nous.

Il y en avait bien quelques nouveaux qui parfaisaient le nombre ; mais ce n’étaient pas gens qui me plussent. Leur esprit ne soupirait qu’après une sotte friponnerie et une brutale débauche : pourtant je tâchais de supporter leur humeur, quand je me trouvais