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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/289

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avec eux ; mais je ne les hantais que le moins qu’il m’était possible, et me tenais fort souvent chez moi, feignant d’être mal disposé, pour éviter leur fréquentation. En ce temps-là, j’étudiai à tout reste, mais d’une façon nouvelle, néanmoins la plus belle de toutes : je ne faisais autre chose que philosopher et que méditer sur l’état des humains, sur ce qu’il leur faudrait faire pour vivre en repos, et encore sur un autre point bien plus délicat, touchant lequel j’ai déjà traversé le commencement d’un certain discours que je vous communiquerai. Je vous laisse à juger si cela n’était pas cause que j’avais davantage en horreur le commerce des hommes ; car dès lors je trouvai le moyen de les faire vivre comme des dieux, s’ils voulaient suivre mon conseil.

Toutefois, puisqu’il faut essayer d’étouffer le désir des choses qui ne se peuvent, je ne songeai plus qu’à procurer le contentement de moi seul. Me délibérant de suivre en apparence le tracwkt-2 des autres, je fis provision d’une science trompeuse, pour m’acquérir la bienveillance d’un chacun. Je m’étudiai à faire dire à ma bouche le contraire de ce que pensait mon cœur, et à donner les compliments et les louanges à foison aux endroits où je voyais qu’il serait nécessaire d’en user, gardant toujours néanmoins ma liberté de médire de ceux qui le mériteraient. J’avais bien intention de rencontrer quelque grand seigneur qui me baillât appointement, pour rendre ma fortune mieux assurée, mais je n’avais guère envie de m’asservir sous des personnes qui n’étaient pas beaucoup dignes de commander, car j’avais reconnu le naturel des courtisans.