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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/290

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Un de mes amis me mena un jour chez une demoiselle appelée Luce, me disant que c’était la femme du meilleur discours qui se pût voir, et que je ne manquerais point à trouver aussi en sa compagnie de plus beaux esprits du monde, parmi lesquels j’aurais de l’honneur à faire éclater mon savoir : elle avait aussi appris de lui qui j’étais, et que je la viendrais visiter ; de sorte qu’elle me fit un bon accueil et me donna place près d’elle ; il y avait encore, pour l’entretenir, beaucoup d’hommes bien vêtus, et qui, à mon avis, n’étaient pas des moindres de la cour. Je prêtai l’oreille pour ouïr les bons discours que je m’imaginais qu’ils feraient. De tous côtés je n’entendis rien que des vanteries, des fadaises et des contes faits mal à propos, avec un langage le plus galimatias et une prononciation la plus mauvaise que l’on se puisse figurer.

— C’est une étrange chose, mademoiselle, disait l’un en retroussant sa moustache, que le bon hasard et moi sommes toujours en guerre : jamais il ne veut loger en ma compagnie ; quand j’aurais tout l’argent que tiennent les trésoriers de l’Épargne, je le perdrais au jeu en un jour.

— C’est signe que les astres, disait un autre, vous décocheront une influence qui suppliera l’amour de métamorphoser votre malheur au jeu en un bonheur qu’il vous donnera en femme.

— Je ne sais quel édit fera le ciel là-dessus, reprit le premier, mais je vous appelle en duel comme mon ennemi, si vous n’ouvrez la porte de votre âme à cette croyance que, pour être des favoris du destin en mon mariage,