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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/294

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confusion, après avoir fait une petite révérence à la compagnie, qui, je pense, n’en vit rien.

Ayant rencontré au sortir celui qui m’avait fait aller là-dedans, je lui dis que véritablement tous ceux que j’y avais vus avaient beaucoup d’éloquence, mais que c’était à la mode du siècle, où parler beaucoup, c’est parler bien ; que rien n’était si sot ni si vain que leurs esprits ; que, si la cour n’avait point de plus habiles personnages, j’étais content de ne la point voir, et que je m’étais toujours abstenu de parler, non point pour mieux entendre les autres et y apprendre davantage de leur savoir, mais afin de ne leur point donner occasion de me tenir quelques-uns de leurs discours, qui m’eussent été encore plus ennuyeux s’ils se fussent adressés particulièrement à moi.

La réponse que j’eus de cet ami fut qu’il connaissait bien, par le train qui était à la porte, quelles personnes étaient dedans la maison, et que c’étaient des seigneurs et des gentilshommes estimés pour les meilleurs esprits de la France. Je lui répliquai là-dessus qu’en la contrée des aveugles les borgnes sont les rois.

Cependant Clérante, à ce que j’ai su depuis, me connaissait, parce que je lui avais été autrefois montré par quelqu’un, s’informa de Luce si elle avait eu bien du plaisir en mon entretien. « Car, disait-il, j’ai ouï dire que ce jeune gentilhomme fait extrêmement bien des vers, a les pensées les plus belles, le langage le plus poli et les pointes les plus vives du monde. »

— Je l’ai ouï dire, lui repartit Luce, mais il ne m’en est rien apparu ; je pense que c’est plutôt la statue