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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/295

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envoyée ici par art magique que lui-même, car je n’ai rien vu auprès de moi qu’une souche sans parole, qui ne répondait que par quelque signe de la tête aux demandes que je lui faisais quelquefois, et qui a fait sa sortie sans aucun compliment.

— Vous verrez, dit Clérante, qu’il y a quelque mécontentement en lui ; je le veux gouverner ; qui est-ce qui me donnera sa connaissance ?

Luce lui répondit que ce serait le gentilhomme qui m’avait introduit chez elle. Clérante lui en parla quelques jours après, et, suivant sa prière, je l’allai voir en intention de lui faire bien paraître ce que j’étais. Je l’abordai avec des compliments sortables à sa qualité, et l’entretins plus de deux heures sur divers sujets, sans qu’il se lassât de m’entendre. À la fin je lui montrai de mes vers, qui, à son dire, lui plurent davantage que tous ceux qu’il avait vus à la cour. Après cela, il me parla de Luce, me dit qu’elle se plaignait extrêmement de ce que, l’ayant été visiter, je n’avais daigné ouvrir la bouche pour repaître ses oreilles des douceurs de mon esprit. Le bon naturel de ce seigneur me convia à ne lui rien celer, et à lui dire que, quand j’eusse eu les rares qualités qu’il m’attribuait, je n’eusse pas pu me résoudre à parler, d’autant qu’il y avait des gens avec Luce à qui les bons et solides discours étaient comme le soleil aux aveugles. Il confirma mon dire, et m’avoua que ce n’étaient que des badins[1], mais qu’il me ferait discourir avec Luce, sans être interrompu par de telles gens, et que je trouverais bien en elle un autre génie. Comme de fait m’y ayant mené peu de temps après, je reconnus que la

  1. ndws : sot, ridicule, cf. Huguet, op. cit., p. 31.