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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/296

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louange qu’il lui donnait était juste ; aussi vit-elle tout de même qu’il ne s’en fallait guère que je ne fusse ce qu’on lui avait dit.

Quelques jours après, il tomba entre les mains de Clérante une certaine satire qui médisait librement de presque tous les seigneurs de la cour : il y était aussi compris : mais tout ce que l’on avait su dire, c’est qu’étant marié à une belle femme, il ne laissait pas de chercher sa fortune ailleurs. Je m’amusai à philosopher sur cette pièce en sa présence, et fis dessus un admirable jugement.

— Et pardieu, ce dis-je, je m’en vais gager ma vie, ce dis-je, que c’est Alcidamor qui a fait faire ceci.

— Pourquoi croyez-vous que ce soit ce seigneur plutôt qu’un autre ? repartit Clérante.

— Je m’en vais vous l’apprendre, lui repartis-je ; vous ne me nierez pas qu’il est le plus vicieux de la cour, car même je vous l’entendis avouer hier. Or ceux qui ne sont point en cette satire-ci se sont exemptés d’y être par leur vertu signalée ; mais, lui, je ne sais à quel sujet le poète ne l’a pas mis sur les rangs, si ce n’est à cause qu’il n’a composé ceci qu’à sa persuasion.

Ma conjecture sembla infiniment bonne, et Clérante eut l’opinion que je disais la vérité. Là-dessus il tire encore d’autres vers de sa pochette, qu’il avait trouvés à ses pieds dedans le Louvre, et ne les avait pas lus tout du long. Tandis qu’il parlait à un sien ami, je les lus tout à fait, et vis qu’ils n’en voulaient qu’à lui : l’on lui reprochait là-dedans qu’il était stupide, ignorant et ennemi mortel des hommes de lettres.