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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/300

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pistoles, en piquant lequel je fais presque trembler la terre, et toujours je suis suivi d’hommes et de laquais. Ma mère est comblée de contentements recevant les nouvelles de ma bonne fortune, que je lui mande par mes lettres. Je prends vengeance de ceux qui m’ont morguéwkt-3 autrefois, en les morguant tout de même. De mes anciens camarades, il n’y en a plus que deux ou trois, qui méritent beaucoup, de qui je fasse état ; pour les autres que j’avais fait semblant de chérir à cause du profit que j’en tirais (ce qui est une invention dont l’on se peut servir sans devoir craindre un juste blâme), je ne traite plus avec eux familièrement si, pour leur montrer qu’ils n’étaient rien au prix de moi, et qu’ils se rendaient désagréables par leurs imperfections. La bande des généreux se dissipa alors tout à fait, n’ayant plus personne qui eût assez d’esprit et assez de courage pour la maintenir en un état florissant. Des petites coquettes, qui m’avaient autrefois méprisé, eussent bien voulu alors être en mes bonnes grâces ; mais je leur faisais la nique.

Mon coutumier exercice était de châtier les sottises, de rabaisser les vanités et de me moquer de l’ignorance des hommes. Les gens de justice, de finance et de trafic passaient journellement par mes mains, et vous ne vous sauriez imaginer combien je prenais de plaisir à bailler des coups de bâton sur le satin noir. Ceux qui se disaient nobles, et ne l’étaient pas, ne se trouvaient non plus exempts de ressentir les justes effets de ma colère. Je leur apprenais qu’être noble, ce n’est pas savoir bien piquer un cheval, ni manier une épée, ni