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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/306

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Les parents, bien aises d’en être déchargés, le laissèrent donc chez Clérante, qui, dès l’heure même, lui donna le nom de Collinet et commanda que l’on l’habillât en gentilhomme.

Il était quelquefois des semaines tout entières sans tomber dans l’excès de sa folie et parlait, en ce temps-là, fort plaisamment et quelquefois fort éloquemment, bien qu’il y eût toujours de l’extravagance en ses discours. La défense que l’on avait faite à tous les gens de la maison de l’irriter par des malices outrageuses empêchait qu’il ne se mît en fougue et ne devînt méchant comme plusieurs autres fous.

L’on ne pouvait recevoir que du contentement de sa présence, et n’y avait pas un seigneur qui ne fût bien aise de l’entendre quelquefois et de lui voir faire quelques plaisantes actions.

Je le gouvernais tout à fait : aussi m’appelait-il son bon maître, et Clérante son bon prince. Quand je voulais toucher vivement quelque seigneur, je lui apprenais quelque singerie par laquelle il lui découvrît ses vices ; si bien que quelques-uns, le voyant aucunes fois raisonner fort à propos, s’imaginaient qu’il n’était pas naturellement insensé, mais qu’il le contrefaisait.

En sa jeunesse, il avait eu l’esprit si beau qu’il ne se pouvait qu’il ne lui en demeurât encore des marques ; il faisait parfois des admirables réponses sans aucun de mes préceptes. Oyant parler d’un seigneur qui a la réputation d’être aussi buffle que pas un de sa qualité, et voyant que l’on lui attribuait au moins la vertu d’être affable et courtois, il soutint que c’était le plus discour-