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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/307

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tois homme du monde. Sa raison était demandée, il dit qu’il avait remarqué que le jour d’auparavant il avait été si incivil que de ne se pas détourner dans une rue pour laisser passer un sien frère, qui, à son avis, était plus âgé et plus méritant que lui.

— Ce seigneur n’a point de frère ; tu te trompes, lui dit-on.

— Je sais bien moi, qu’il en a plusieurs, repartit-il, et que celui qui passait en est ; c’est un âne de la plus belle taille que l’on puisse voir.

Une autre fois, oyant dire qu’une femme avait eu un enfant à Paris, combien qu’il y eût deux ans que son mari était en Espagne, il dit :

— Morgoy ! ce drôle-là a donc l’engin bien long, puisqu’il engrosse sa femme de si loin ! Il faut que quand il est auprès d’elle et qu’il l’en a outre-percée, il le porte jusques en Turquie pour en bailler un soufflet au grand seigneur.

Entendant aussi conter qu’une certaine femme faisait tous les jours croître des cornes à son mari, il fit là-dessus mille plaisantes rencontres : qu’elle devait craindre que ce cornard ne la frappât avec les armes de sa tête lorsqu’elle l’offenserait, que, quant à lui, il serait bien empêché à trouver des chapeaux qui lui fussent propres, et qu’il fallait rehausser les portes de son logis s’il voulait entrer aisément sans se courber. Et même, voyez sa subtilité, il dit pareillement que les cornes étaient venues à Actéon parce qu’il avait vu Diane toute nue ; mais qu’au contraire elles étaient venues à ce cocu-ci parce qu’il n’avait pas la curiosité de voir souvent la sienne dépouillée de ses habillements.