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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/308

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Un jour, étant dans la chambre de Clérante, il vit un flatteur courtisan qui importunait son bon prince, avec des prières très humbles, de lui faire avoir certaine chose qui était en sa puissance. Il tire un biscuit de sa pochette et le montre à un petit chien qui était là ; le chien saute dessus lui, le flatte, le lèche en branlant la queue, comme pour lui demander le morceau qu’il tenait. Il hausse son bras tant qu’il peut, et avec une voix extravagante s’écrie à tout coup :

— Que gagnes-tu de me faire fête ? Tu ne l’auras pas.

— Donnez-le lui, Collinet, dit Clérante en le regardant ; il l’a bien mérité par ses carresses.

— Je vous imite, mon bon seigneur, je vous imite, repartit Collinet.

— En quoi m’imites-tu ? reprit Clérante.

— En ce que vous vous laissez bien prier et bien flatter auparavant que d’accorder quelque chose à cet homme qui parle à vous, répondit Collinet. C’est un plaisir très doux que de se voir caressé ; je ne suis pas d’avis que nous nous en privions sitôt. Le moyen qu’il faut garder pour nous y maintenir, c’est de ne donner ce que l’on nous demande que le plus tard que nous pourrons : dès que nous l’aurons donné, l’on ne nous courtisera plus, je m’en vais vous le faire voir.

Aussitôt il jette le biscuit au chien, qui s’enfuit le manger sous un lit ; puis il revint comme pour en demander encore.

— Il retourne à ses mêmes caresses, dit Clérante ; tu l’as à tort accusé d’ingratitude.

— Après qu’il aura connu que je n’ai plus rien à lui