Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284

y a-t-il ? Le plus brave homme du monde est souvent jeté par terre avec un coup de mousquet qu’un coyon a tiré pour faire son apprentissage. Si César, Alexandre, Amadis et Charlemagne vivaient maintenant, ils n’iraient pas si volontiers au combat comme ils ont fait autrefois. Aussi, leurs sujets, ayant affaire de leurs personnes, les empêcheraient-ils de se mettre en un si grand hasard. J’aime mieux voir tuer des poulets que des hommes. Retournons-nous-en à Paris faire bonne chère : il faut mieux voir des broches que des piques, des marmites que des timbres, et tous les ustensiles de cuisine que ceux de la guerre. Votre exercice est d’aller voir si le canon est bien placé et si toutes vos troupes sont bien campées ; mais, à la ville, vous irez voir les dames, avec qui vous prendrez des passe-temps bien plus aimables.

Encore que Clérante tournât en risée tout ce discours à l’heure, si est-ce que depuis il en fit son profit, comme d’un secret avertissement que lui donnait le ciel par un homme qui, au milieu de sa frénésie, avait des raisons aussi preignantes que celles des plus profonds philosophes.

La paix étant faite, nous quittâmes donc les armes et nous en revînmes à Paris, où Clérante, allant voir la belle et bien disante Luce, trouva en elle des charmes plus puissants que jamais ; et, son humeur étant alors fort susceptible de passion, il devint éperdument amoureux d’elle, si bien qu’il ne bougeait plus presque de son logis. Il lui amena un jour Collinet, l’ayant fait mettre en ses goguettes par le moyen de deux ou trois verres d’un vin de singe qu’il lui avait fait boire.