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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/312

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ouï estimer son bien dire. Ayant pris une chaise pour s’asseoir, il commença incontinent de cette sorte, avec des actions et des tournoiements d’yeux admirables :

— Mademoiselle, votre mérite, qui reluit comme une lanterne d’oublieux, est tellement capable d’obscurcir l’éclipse de l’aurore qui commence à paraître sur l’hémisphère de la Lycanthropie, qu’il n’y a pas un gentilhomme à la cour qui ne veuille être frisé à la Borelise. Votre teint surpasse les oignons en rougeur ; vos cheveux sont jaunes comme la merde d’un petit enfant ; vos dents, qui ne sont point empruntées de la boutique de Carmeline, semblent pourtant avoir été faites avec la corne du chausse-pied de mon grand prince ; votre bouche, qui s’entr’ouvre quelquefois, ressemble au trou d’un tronc des pauvres enfermés ; enfin Phébus, étant à souper à six pistoles pour tête, chez la Coiffier, n’a mangé de meilleurs pâtés de béatilleswkt que ceux dont j’ai tâté tantôt. Aussi dit-on que, comme Achille traîna le corps du fils Priam à l’entour des murailles de Troie, ainsi maint courtisan, afin d’être installé en la faveur, donne maint coup de chapeau à tel qui mériterait plutôt les étrivières.

— Je ne sais pas ce que vous voulez conter, dit Clérante ; dites-moi, Collinet, n’avez-vous pas entrepris de discourir sur les perfections de mademoiselle ? Que ne parachevez-vous votre dessein ?

— Je m’y en vais, répondit-il : Or bien donc, belle nymphe, puisqu’il faut vous louer, je dis que vous m’avez captivé, c’est assez ; car vous ne me captiveriez pas, si vous n’aviez plus d’appas que la Normandie n’a de