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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/316

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lui donnait, et Collinet, plus que jamais, rôda les rues avec un vêtement fort riche, qui ne le faisait prendre que pour quelque baron. Ainsi l’on était bien étonné lorsqu’il tombait dans le centre de sa folie.

Les attraits de Luce, captivant de plus en plus Clérante, le forcèrent à chercher son remède, et d’autant qu’il savait que j’étais des mieux entendus en matière d’amour, il me voulut découvrir librement la sienne, que j’avais déjà assez connue. En après, il me dit que ce qu’il avait envie de m’employer en cette chose-là n’était pas qu’il ne fît estime de mon mérite plus que de celui de tous les hommes du monde ; qu’il ne voulait pas imiter la plupart des courtisans, qui mettent de telles affaires entre les mains de personnes abjectes et ignorantes ; qu’il savait qu’il était besoin d’être pourvu d’un grand esprit en une pareille entreprise, et que les amants doivent estimer comme leurs dieux tutélaires ceux qui les font parvenir au bien qu’ils souhaitent.

Ces propos, qui étaient à mon avantage, me convièrent à lui promettre de l’assister en tout et partout ; car je ne soupirais qu’après les doux plaisirs auxquels j’étais bien aise de le voir s’occuper. D’ailleurs Luce avait une demoiselle à sa suite, appelée Fleurance, belle en perfection, de qui j’étais devenu infiniment passionné, ce qui me faisait plaire à aller souvent dedans le logis. Véritablement cette suivante avait, à mon jugement, plus d’appas que sa maîtresse, qui était fort noire auprès d’elle. Je ne sais comment Luce la gardait, si ce n’est qu’elle se fiait sur les gentillesses de son esprit, qui étaient assez capables d’empêcher qu’elle ne fût la