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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/320

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ports qui se trouvent ordinairement dans les âmes et dans les paroles des vrais amoureux. Je m’en vais vous dire le contenu de la lettre :

Si vos beautés n’étaient extrêmement parfaites, vous n’auriez pas pu me charmer, vu que j’avais fait vœu de garder toujours ma franchise. Reconnaissez, rare merveille, le gain que vous avez fait, et en rendez grâce à vos mérites. Songez aussi que les dieux ne vous ont pas départi cette prérogative, d’embraser tous les cœurs d’amour, sans en voir jamais une étincelle dedans le vôtre. J’ose bien dire qu’ils seraient injustes, s’ils l’avaient fait. À quel sujet vous auraient-ils donné tant de perfections s’ils ne vous avaient pas enseigné les moyens d’en jouir ? Il faudrait donc que ce fût pour gehenner les mortels, en leur faisant voir chef-d’œuvre de leurs mains, et leur ôtant quant et quant l’espérance de le posséder, combien qu’il engendrât en eux beaucoup de désirs. Ne soyez point cruelle à vous-même, en perdant le temps que vous pouvez extrêmement bien employer. Vous n’avez fait jusques ici l’amour qu’en paroles ; faites-le maintenant par effet avec moi, qui soupire après l’heure que vous en prendrez la résolution. Vous goûterez de nouvelles délices, dont possible vous ne faites point d’état, ne les ayant point encore expérimentées. Nous passerons les journées en caresses, en accolades et en baisers ; vous recevrez de moi des hommages qui vous empliront de gloire et de plaisir. Je me montrerai si prompt et si vif à vous rendre le plus grand service amoureux que vous serez plus contente que je ne puis vous figurer. Suivez mon conseil, chère Luce,