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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/321

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ma lumière, résolvez-vous, comme je vous ai dit, à essayer des voluptés de l’amour, afin de ne point garder inutilement les présents de la nature. Si vous avez tant soit peu de connaissance de l’affection que je vous porte, je ne doute point que vous ne me choisissiez pour vous faire sentir quelles sont les douceurs dont je vous parle.

Avec cette lettre, je donnai encore des vers à Luce, qui représentaient si naïvement les mignardises de l’amour, que la plus bigote femme du monde eût été émue des aiguillons de la chair en les lisant. Je vous laisse à juger si cette galante demoiselle en fut touchée : elle se mordait les lèvres en les proférant tout bas, elle se souriait quelquefois, et les yeux lui étincelaient d’allégresse. Moi qui remarquais toutes ses actions, j’avais une joie extrême, croyant qu’elle dût rendre quelque réponse favorable à Clérante ; mais, au lieu de le faire, elle tourna tout en gausserie et ne mit point la main à la plume pour récrire à son amant. Néanmoins elle prisa grandement ce qu’il lui avait envoyé, comme une pièce très bien faite, et, connaissant au style qui ne lui était pas nouveau, et par beaucoup de conjectures, que j’en étais l’auteur, elle m’affectionne au lieu d’affectionner celui qui soupirait pour elle.

— Puisque Clérante, dit-elle à part soi, n’a pas l’esprit de me représenter lui-même les plaisirs de l’amour, c’est signe qu’il ne saurait me les faire goûter ; quant à Francion, dont la veine me les a tracés, je m’imagine qu’il entend des mieux ce que c’est ; les preuves que je vois de sa gentillesse me charment infiniment.