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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/325

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— Mademoiselle, répondit résolument Fleurance étant en cette extrémité, si l’on punit pour ce péché-là, vous avez mérité un aussi grand supplice que moi ; et, s’il déshonore les maisons où l’on le commet, vous avez autant que moi déshonoré la vôtre : je n’en veux rien dire da, car il ne m’appartient pas, et ce n’est pas à moi à songer comme tout va céans. Je n’ai rien fait toutefois que vous ne m’ayez donné l’exemple de faire ; et, au pis aller, tout ce que vous sauriez dire, c’est que, n’étant pas de si grande qualité, il ne m’est pas licite de prendre les mêmes libertés que vous.

— Et quand est-ce, dit Luce, que tu m’as vue baiser par des hommes, petite louve ?

— Et là ! répondit Fleurance, je ne vous ai vue baiser voirement ; mais dernièrement, comme j’entrai dans votre chambre, je sais bien que vous étiez sur votre lit avec Monsieur que voilà. Et je voyais remuer la couche si fort que je m’imagine qu’il vous livra une escarmouche bien plus violente que celle dont il m’a assaillie ; car nous ne nous donnions pas tantôt des secousses si fortes. Moi qui suis votre servante, je ne pouvais moins que de caresser celui que vous avez daigné aussi caresser par une humble courtoisie.

Cette hardie réponse rendit Luce toute peneuse[1] ; et m’ayant regardé de travers, elle sortit de la garde-robe dont elle referma rudement la porte. Je ne laissai pas malgré sa jalousie de venir encore une fois aux prises avec Fleurance, et ne la quittai qu’une heure après. Sa maîtresse depuis ne l’osa crier, de peur qu’elle ne découvrît qu’elle était coupable du crime dont elle accusait les autres.

  1. ndws : mot non trouvé dans les dictionnaires de référence ; probablement penaude selon l’éd. Roy, t. II, p. 165. L’édition de 1626, t. II, p. 453, donne honteuse.