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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/326

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Clérante, qui m’importunait autant que jamais de la solliciter par quelque manière que ce fût, de bailler du remède à son amoureuse passion, me contraignit de lui écrire une lettre plus passionnée que la première ; mais je n’osai pas la lui donner moi-même, je la lui fis tenir d’une autre main. Pensant retirer de moi une notable vengeance, elle récrit à Clérante, avec les paroles les plus courtoises du monde, qu’elle reconnaîtrait son affection par des faveurs signalées ; et de fait, quelques jours après, l’ayant été voir, il jouit d’elle à son souhait, de quoi je fus plus aise qu’elle n’avait pensé.

Je ne pouvais mettre entièrement mon amour en pas une dame, parce que je n’en trouvais point qui méritât d’être parfaitement aimée ; et si presque toutes celles qui s’offraient à moi me charmaient la raison, encore qu’au jugement de tout le monde elles eussent fort peu de beauté. Si quelque ami me disait, me voyant regarder une fille : « Vous êtes amoureux de celle-là », je le devenais le plus souvent tout à l’heure, bien qu’auparavant je n’eusse pas seulement songé si elle était attrayante. L’inclination que j’avais ainsi à l’amour me faisait chérir des plus galants de la cour, qui étaient fort aises d’avoir mon avis pour gouverner leurs passions.

Je semais parmi eux, le plus qu’il m’était possible, les enseignements de ma nouvelle philosophie, dont je vous ai déjà parlé. Quelques esprits y prenaient du goût ; et ne s’en fallait guère qu’ils ne désirassent de la pouvoir suivre. Mais d’autres, barbares et stupides, lui faisaient un si mauvais accueil, que j’eusse voulu ne leur en avoir jamais parlé. Même, comme c’est l’ordinaire