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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/327

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de la bêtise des hommes, ils vinrent à m’accuser de folie : ce qui me fâcha tant que je me résolus de tenir comme un trésor caché ce que je savais, puisqu’il n’y avait personne qui eût la volonté de s’en servir. « Il ne m’importe, ce dis-je, en moi-même. Les hommes refusent leur bien, que je leur présente ; ils en porteront la peine ! Il est vrai que j’en pâtirai quelque peu. Mais quoi ! il faut s’accommoder au temps ! La mort viendra bientôt me délivrer de ces angoisses. »

Clérante, qui sait ma maladie et son origine, essaye de tout son pouvoir de me consoler, et me mène aux champs, à une belle maison qu’il a. Nous fîmes là une vie qui me contraignit d’oublier ma tristesse.

— Par la mort, ce me disait Clérante, je retrancherai quelque chose de l’estime que votre mérite m’a jusques ici obligé de faire de vous, si vous ne mettez peine à vous réjouir. Vous vous fâchez du désordre du monde ; ne vous en souciez point, puisqu’on n’y peut remédier. Vertu-nom-de-Dieu ! en dépit de tous les hommes, vivons tout au contraire d’eux. Ne suivons pas une de leurs sottes coutumes ; quant à moi, je quitte pour jamais la cour où je n’ai goûté aucun repos. Si nous voulons passer nos jours parmi les délices de l’amour, nous trouverons en ces quartiers-ci des jeunes beautés dont l’embonpoint surpasse celui de toutes les courtisanes, qui sont toutes couvertes de fard et qui usent de mille inventions pour relever leur sein flasque. Je me souviens d’avoir couché avec quelques-unes si maigres que j’eusse autant aimé être mis à la géhenne. Et, à propos, dernièrement cette Luce, je connus que sa beauté vient plus d’arti-