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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/328

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fice que de nature : son corps n’est composé que d’os et de peau.

L’humeur franche de ce seigneur me plaisant, je lui accordai ce qu’il voulut. Il avait laissé sa grandeur à la cour, sans en retenir seulement la mémoire, et, se rabaissant jusqu’à l’extrémité, allait danser sous l’ormiau, les dimanches, avec le compère Piarre et le sire Lucrin. Il jouait à la boule avec eux pour le souper et se plaisait à les voir boire d’autant, afin qu’ils contassent après merveilles. Lorsqu’il était en humeur plus sérieuse, il faisait venir les bonnes vieilles gens et leur priait de raconter tout ce qui était en leur mémoire du temps de leur jeunesse. Oh ! quel contentement il sentait, lorsqu’ils venaient à discourir des affaires d’État, dont ils parlaient selon leurs opinions et celles de leurs grands-pères, donnant toujours quelque blâme aux seigneurs qui avaient approché le plus près de la personne des rois ! Pour moi, de mon naturel, je ne me plais guère à toutes ces choses-là ; car je n’aime pas la communication des personnes sottes et ignorantes. Néanmoins, afin de lui agréer, je m’efforçais tant d’y prendre du plaisir, que je puis assurer que j’en prenais quelque espèce, quand ce n’eût été que de voir qu’il en retenait, d’autant que mon principal soin était de le faire vivre joyeusement.

Je me portai même jusqu’à prendre le dessein d’une galanterie que fort peu de personnes voudraient entreprendre. On nous avait dit qu’il y avait, à trois lieues de là, dedans une ferme, la plus belle bourgeoise du monde. Je m’avisai de m’habiller en paysan et de porter un violon, dont je savais jouer, afin d’entrer plutôt chez