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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/329

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elle. Ce qui me faisait plutôt prendre cette délibération, c’était que l’on m’avait appris que la mignarde aimait passionnément à rire et avait des rencontres fort plaisantes. Or j’espérais de lui tenir des discours si facétieux, que ce serait un plaisir des plus grands d’ouïr notre entretien. Le bon était qu’il y avait une noce en son village, le jour que j’avais délibéré d’y aller. Clérante, voulant s’égayer aussi, pour m’accompagner fit provision d’une cymbale, parce que c’est un instrument dont le jeu n’est guère difficile : il ne faut que battre dedans avec la verge de fer à la cadence des chansons.

Nous sortons, un matin, avec nos vêtements accoutumés, faisant accroire que nous allions à douze lieues loin, et ne menons que mon homme de chambre que j’avais rendu un fin matois. Étant à deux lieues de la maison, nous entrâmes dans un bois fort solitaire, où nous vêtîmes des haillons. Clérante fit bander son visage à moitié et noircir sa barbe qui était blonde, de peur d’être reconnu par quelqu’un. Quant à moi, je mis seulement un emplâtre sur l’un de mes yeux et j’enfonçai ma tête dans un vieux chapeau dont j’abaissais et haussais le bord à ma volonté, comme la visière d’un armetwkt, parce qu’il était fendu au milieu.

En cet équipage, nous marchâmes jusqu’au village où se faisait la noce. Mon valet mit nos chevaux en une hôtellerie, en attendant que nous en eussions affaire. Nous allâmes droit chez le père de la mariée, bon pitaut[1], à qui je demandai s’il n’avait point affaire de mon service. Il me dit qu’il avait déjà retenu un ménétrier, à qui il avait baillé seize sols d’arrhes, sur et tant

  1. ndws : terme injurieux qu’on dit des gens rustres grossiers et incivils, qui ont des manières de paysans, cf. Furetière, op. cit, t. II.