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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/332

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château, je jouai les branles que presque toute la compagnie dansa. Après cela, je jouai des gaillardes et des courantes que les pitauts[1] dansaient d’une telle façon que j’y recevais un extrême plaisir, qui m’empêchait d’avoir du regret de m’être si prodigieusement métamorphosé. D’ailleurs, j’étais infiniment aise d’entendre les discours de quelques bonnes vieilles assises auprès de moi : elles disaient que les parents des mariés étaient bien chiches, qu’ils n’avaient pris qu’un violon et qu’ils ne leur avaient pas fait assez bonne chère.

— Par mananda ! ce disait l’une, quand je mariai ma grande fille Jacquette, il y avait tant de viande de reste, que le lendemain, qui était un jeudi, il fallut prier notre curé de nous venir aider à la manger, de peur qu’elle ne se gâtât en la gardant pour le dimanche ! Encore fallut-il au soir en faire des aumônes à tous les pauvres du village ! Et si la grande bande des cornets était à la noce !

Les autres tenaient de pareils propos, sans songer à la danse. Ce qui m’était encore bien plaisant à entendre était le discours qu’un jeune badaud tenait à une servante du logis du seigneur. Il l’était venu accoster avec un ris badin, une révérence en tortillant les fesses, en tortillant le bord de son chapeau, et disant :

— Comment vous en va, Robaine ? vous faites là la sainte sucrée ; je cuide que vous êtes malade.

— C’est votre grâce, dit la servante.

— Hé bien ! vous voilà une fille à marier, reprit le villageois. Ne serez-vous pas prise bientôt comme les autres ? La gelée est forte cette année-ci, dame, tout se prend.

  1. ndws : terme injurieux qu’on dit des gens rustres grossiers et incivils, qui ont des manières de paysans, cf. Furetière, op. cit., t. II.