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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/333

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— Ha ! gardez que cettui-ci nous veut jargonner, repartit la servante. Oui, ils sont pris s’ils ne s’envolent. Il a plus de caquet que la poule à ma tante, il n’aura pas ma toile !

Le manant fila doux alors, d’autant qu’il l’honorait fort, et qu’un demi-ceint d’argent qu’elle avait était une puissante chaîne pour attirer son cœur à son service ; car il faut que vous sachiez que, depuis qu’une servante porte sur les reins ce bel ornement, il n’y a valet ni pauvre artisan qui ne lui jette plus d’œillades que n’en jette un matou sur la viande qui est pendue au croc. Il lui dit donc, avec une façon si hors de propos, que je ne savais s’il pleurait ou s’il riait :

— Hen ! ma mère m’a parlé de vous.

Et voyant qu’elle ne lui répondait point, il lui répéta ces mêmes mots quatre ou cinq fois, en lui tirant la main pour les lui faire entendre, croyant qu’elle dormît ou qu’elle ne songeât pas à lui.

— Je ne suis pas sourde, dit-elle, je vous entends bien.

— C’est à cause de vous que j’ai mis une aiguillette de var de mar à mon chapiau ; car ma couraine[1] m’a dit que c’est une couleur que vous raimez tant, que vous en avez usé trois cotillons. Ce darnier jour, en allant aux vaignes, je me détournis, par le sangoi, de plus de cent pas pour vous voir, mais je ne vous avisis point ; et si toute la nuit je n’ai fait que songer de vous, tant je suis votre serviteur. Par la vertigué, j’ai voulu gager plus de cent fois, contre mon biau-frère Michaut Croupière, qu’à une journée de la grande haridelle de sa charrue, il n’y a pas une fille qui soit de si belle regardure que vous, qui

  1. ndws : « Couraine. Mot inconnu. Il serait facile de corriger en cousaine (cousine), comme plus loin humidité en humilité. Mais la correction n’a été faite dans aucune des éditions, et, tout compte fait serait douteuse. », cf. éd. Roy, t. II, p. 182. On peut vérifier dans les éd. 1626, p. 480 et éd. 1646, p. 485.