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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/337

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La fable de Clérante fit rire toute la compagnie et même la bourgeoise, qui lui fit plusieurs demandes bouffonnes. Un gentilhomme de la troupe lui commanda de chanter quelque chanson. Il touche ses cymbales aussitôt et en dit une des plus paillardes. Étant convié d’en dire encore d’autres et n’en sachant point, il dit qu’il me fallait appeler et que j’en chanterais des plus plaisantes du monde. La noce demeura sans violon, pour le contentement du seigneur du village, vers lequel je me transportai incontinent. Mon instrument et ma voix s’accordèrent ensemble pour dire plusieurs chansons les plus folâtres que l’on ait jamais ouïes, et que j’avais composées le plus souvent le verre à la main, pendant mes débauches. Je faisais des grimaces, des gestes et des postures dont tous les bouffons de l’Europe seraient bien aises d’avoir de la tablature pour en gagner leur vie.

Clérante, cependant, s’était approché de deux vieillards qui n’adonnaient pas du tout leurs esprits à écouter la musique ; ils devisaient sérieusement ensemble d’une chose qui le touchait, non pas en la qualité de joueur de cymbales, mais en celle de grand seigneur. Il faisait semblant de ne les point ouïr, afin qu’ils ne cessassent point de parler si haut, et ne les regardait pas seulement, encore qu’il ne dût point craindre qu’ils se retinssent de dire devant lui tout ce qu’ils pensaient, parce que, le prenant pour un badin, ils ne le jugeaient pas même capable de comprendre leurs raisons.

— Clérante a été en ce pays-ci quelques jours, à ce que l’on m’a appris, disait l’un, mais il s’en est déjà allé ce matin. J’en suis fort aise, car je l’aimerais mieux en