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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/357

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certaine pointe d’esprit qui lui donnait beaucoup de délectation. Pensez-vous que je fusse plus glorieux et que je m’estimasse davantage, pour approcher tous les jours près de sa personne ? Je vous jure que cela m’était tout à fait indifférent. Je ne suis pas de l’humeur de ces bons Gaulois, dont l’un se vantait qu’il avait approché si près de son roi, en une certaine cérémonie, que le bout de son épée touchait à son haut-de-chausse ; et je ne ressemble pas aussi à un autre, qui allait montrant à tout le monde, avec beaucoup de gloire, un crachat que Sa Majesté avait jeté dessus son manteau en passant par une rue. Une telle simplicité ne me plaît pas : j’aime encore mieux la rudesse de ce paysan, à qui son compère disant qu’il quittât vite son labourage s’il désirait voir le roi qui allait passer par leur bourg, répondit qu’il ne démareraitwkt-3 pas d’une enjambée et qu’il ne verrait rien qu’un homme comme lui.

Je recevais donc les faveurs que Sa Majesté me faisait, avec un esprit qui toujours se tenait en un même état et ne s’enflait point orgueilleusement par boutades. En sa présence, je donnais le plus souvent des traits fort aigus à plusieurs seigneurs qui le méritaient bien. Néanmoins leur ignorance était si grande, que, pour la plupart, ils n’en étaient point piqués, ne les pouvant ordinairement entendre ou bien s’en prenant à rire comme les autres, parce qu’ils avaient opinion, tant ils étaient sots, que ce que j’en disais n’était pas tant pour les retirer de leurs vices que pour leur bailler du plaisir.

Il est bien vrai qu’il s’en trouva un, nommé Bajamond, qui eut plus de sentiment que les autres, non pas pour-