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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/359

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— Il faut donc, messieurs, que je vous conte le conte d’un comte de qui je ne fais guère de compte.

Incontinent, Bajamond, qui était derrière, et qui portait toujours un grand plumache[1], et qui avait aussi une comté, s’imagina que je le voulais mettre sur le tapis ; il s’approcha de nous pour entendre le reste, que je dis en cette sorte :

— Celui dont je vous parle devint naguère amoureux de la fille d’un médecin de cette ville-ci ; car il n’a jamais eu le courage de porter ses désirs en un lieu éminent. Je le trouvais tous les jours dans les églises où elle allait à la messe et à vêpres, et passait ordinairement par devant sa porte, afin d’avoir le moyen de la voir. Enfin il s’avise de se loger en chambre garnie vis-à-vis de sa maison, pour se contenter davantage. Un de ses laquais eut le commandement d’aborder la servante, feignant d’être amoureux d’elle ; il l’exécuta donc et gagna en peu de temps ses bonnes grâces, si bien que le comte fut d’avis qu’il lui découvrît l’affection qu’il avait pour la fille du médecin et qu’il tâchât de l’induire à l’assister. Cette affaire réussi merveilleusement bien : la servante, qui avait beaucoup de familiarité avec la fille du logis, qui gouvernait tout depuis la mort de sa mère, lui apprit l’amour que son voisin avait pour elle. Elle en fut criée plus qu’elle ne s’était imaginée, d’autant que sa maîtresse s’offensa de ce qu’elle favorisait la recherche d’un homme, qui vu sa grandeur, ne désirait pas lui faire l’amour pour l’épouser. Outre cela, il lui fut défendu de prendre dorénavant de tels messages à faire.

La servante fut infiniment marrie de ne pouvoir rien

  1. ndws : plumet ou plumart, cf. éd. Roy, t. II, p. 209.