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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/360

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exécuter pour celui qui lui avait promis de grandissimes récompenses. Néanmoins, pour tirer quelque argent de lui, elle lui fit accroître qu’il était passionnément aimé de sa dame. Il ne lui fallut pas user de beaucoup de serments pour lui mettre cela en la fantaisie ; car il avait plus de vanité que pas un de notre siècle. Quand il passait dans la rue, il se tournait de tous côtés pour voir si l’on le regardait ; et, si l’on jetait les yeux sur lui, en s’étonnant quelquefois de sa mauvaise mine, il s’imaginait que l’on entrait en admiration de la belle proportion de son corps ou de la richesse de ses habits. Si l’on disait quelque mot sur un autre sujet, ne l’ayant entendu qu’à demi en passant, il le prenait pour soi et l’expliquait à son avantage. Quand il était regardé d’une fille, il croyait fermement qu’elle était amoureuse de lui. On m’a dit qu’étant un jour entré dans la maison d’une dame, y trouvant un de ses amis qui la servait, il en ressortit incontinent ; l’autre, l’ayant rencontré peu de jours après, lui demanda quelle rancune il avait contre lui, pour ne vouloir point demeurer aux lieux où il le trouvait. Notre comte lui répondit :

— Vous expliquez très mal mes actions. Je ne sortis de chez votre maîtresse que pour vous faire plaisir, ayant reconnu, par la louange qu’elle donna d’abord à ma chevelure bien frisée, qu’elle avait plus d’affection pour moi que pour vous ; j’avais peur que ma présence ne l’empêchât de vous départir les faveurs que vous pouviez souhaiter.

Ceux qui m’ont raconté l’histoire de ce vain personnage, qu’ils connaissent bien, m’ont rapporté de lui une