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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/361

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infinité de semblables sottises. La fille du médecin, sans le pratiquer, remarqua dans peu de temps de quelle humeur il était. Toujours les fenêtres de sa chambre étaient ouvertes, lorsqu’il faisait quelque chose où l’on pût s’apercevoir de sa somptuosité. Cela fut cause qu’elle le prit plutôt en haine qu’en amour, et qu’elle conta toutes ses sottises à quelques-unes de ses plus grandes amies, qui vinrent un soir dedans sa chambre pour avoir leur plaisir des simagrées de son badelori[1] de serviteur, qui se mit à la fenêtre aussitôt qu’il la vit à la sienne. De fortune il y avait avec lui un gentilhomme qui touchait fort bien un luth : il le prie d’en prendre un, et le fait cacher derrière lui, pour jouer quelques pièces dessus, tandis qu’il en tiendrait un autre avec lequel on croirait que ce fût lui qui jouât, ayant opinion qu’il entrerait d’autant plus aux bonnes grâces de sa maîtresse s’il lui faisait paraître qu’il était doué de cette gentille perfection. Mais le grand malheur pour lui : il y avait une des compagnes de la fille du médecin qui savait bien jouer de cet instrument, et, voyant qu’il ne faisait que couler les doigts sur les touches du sien, elle reconnut que ce n’était pas lui qui faisait produire l’harmonie. Mais elle en fut plus certaine, après avoir monté un étage plus haut, d’où elle aperçut l’autre qui jouait. Alors, pour gausser monsieur le comte, elle prit la hardiesse de lui dire, tantôt que son luth n’était pas bien accordé, et tantôt qu’il en pinçait les cordes trop rudement, ou qu’il avait rompu sa chanterelle ; toutefois la musique dura encore longtemps.

Quand elle fut cessée, se souvenant d’avoir lu dans les

  1. ndws : synonyme de badeault, niais, dans Rabelais, cf. éd. Roy, t. II, p. 212.