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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/368

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par devant une maison que j’avais toujours reconnue pour un bordel ; l’on m’appela par la fenêtre, et cinq ou six hommes, sortant aussitôt à la rue, me contraignirent d’entrer pour jouer contre eux. Je leur gagnai à chacun le teston et, par courtoisie, ne laissai pas de vider tout mon corbillon sur la table, encore que je ne leur dusse que six mains d’oublies. Ils me jurèrent qu’il fallait que je dise la chanson pour leur argent ; j’en chantai une des meilleures qu’ils n’avaient jamais ouïe. Après cela, il y en eut un qui me demanda si je voulais rejouer l’argent que j’avais gagné ; je lui dis que je le voulais bien. Tandis que nous remuions le dé, j’entends un drôle qui dit à une garce :

— Nous n’avons rien exécuté ce soir d’une entreprise que nous avons faite pour le comte Bajamond, contre un autre que nous ne connaissons point ; il s’est échappé le plus malheureusement du monde, après nous avoir été amené par ce galant homme qui vient de sortir d’ici.

Par ces paroles, je connus que j’étais avec mes assassins, qui étaient des coupe-jarrets qui pour de l’argent s’en allaient tuer un homme de sang-froid. Je fus très aise d’avoir appris qui était celui qui avait voulu me faire tuer avec une trahison si peu convenable à un homme qui porte le titre de noblesse. Ayant perdu mon argent, pour n’avoir pas songé à mon jeu tandis que j’écoutais ce qui se disait, je sortis de cette maison et pris le chemin de l’hôtel de Clérante, que j’espérais bien réjouir en paraissant devant lui en l’équipage où j’étais et lui contant les hasards dont j’étais miraculeusement sorti. Je heurtai bien fort à la porte, qui était fermée, parce