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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/371

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allai derechef à l’hôtel de Clérante où je heurtai si fort que le suisse s’en réveilla, et, ayant bien juré, m’ouvrit la porte, si bien qu’il me reconnut mieux qu’à l’autre fois, les fumées de son vin étant déjà dissipées. Sans faire aucune résistance, il me laissa donc entrer, et je portai mes pas vers le lieu où je faisais ma demeure. Mes gens qui, considérant la mauvaise fortune qui m’était advenue, ne pouvaient dormir tant ils me portaient d’affection, furent diligents à me venir aider à me mettre au lit, où l’on n’eut que faire de me bercer : je fus assez tôt pris par le sommeil.

Quand le jour fut venu, je m’en allai saluer Clérante et lui contai tout ce qui m’était arrivé. Cela lui donna beaucoup de haine pour Bajamond ; tellement qu’il me demanda si je voulais qu’il suppliât le roi de me faire rendre raison. Je lui fis des remerciements de sa bonne volonté, laquelle je le priai de ne point employer pour ce sujet, ne voulant point que Sa Majesté ouït parler de mes querelles. Seulement je fus d’avis de me tenir sur mes gardes et de ne marcher plus qu’avec beaucoup de suite, puisque Bajamond me faisait attaquer par tant de gens.

L’ayant rencontré à quelque temps de là, je lui dis :

— Comte, avez-vous oublié les vertus qu’un homme comme vous, qui fait profession de noblesse, doit suivre ? Comment ! vous voulez faire assassiner la nuit vos ennemis par des voleurs ? Ne savez-vous pas bien qui je suis, et qu’il ne me faut pas traiter en cette façon ? Quand je serais même le plus infâme de tout le peuple, le devriez-vous faire ? Si nous avons quelque querelle,