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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/372

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nous la pouvons vider ensemble, sans nous aider du secours de personne.

Bajamond, se sentant piqué parce que je lui reprochais son crime, et voulant témoigner qu’il avait une âme généreuse, me repartit que, quand je voudrais, je lui ferais raison de l’avoir offensé tout présentement, et encore bien plus grièvement que par le passé. Je lui dis que ce serait le lendemain hors de la ville, en un lieu que je lui désignai.

Il me fâchait fort de combattre contre ce traître, qui avait donné des marques d’une âme lâche et poltronne, et m’était avis que je n’acquerrais pas grand honneur à le vaincre. Toutefois je me trouvais sur le champ, de grand matin, ayant grand’hâte de sortir de cette affaire. Enfin, il arriva avec un gentilhomme, qui était autant mon ami que le sien, et qui pourtant n’employa point ses efforts pour nous accorder, d’autant qu’il avait une âme toute martiale et qu’il était infiniment aise de nous voir en état de nous battre, espérant qu’il saurait lequel avait le plus de vaillance de nous deux. Bajamond l’avait amené, croyant que j’eusse aussi quelqu’un pour me seconder ; mais, trouvant que je n’avais personne, il fut contraint de le prier seulement d’être spectateur de notre combat, que nous commençâmes dès l’heure même avec une ardeur que vous vous pouvez mieux imaginer que je ne vous le puis décrire.

Je presse mon ennemi le plus qu’il me fut possible, et lui tire tant de coups d’épée qu’il a fort à faire à les parer tous. Comme je lui en voulais donner un, son cheval, se cabrant, le reçut dessus les yeux, qui furent