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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/374

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que vous avez eu la puissance de tuer Bajamond.

Quoique le comte l’eût confessé lui-même, la nécessité l’y forçant, il enrageait de voir qu’un autre le jugeait et eût été tout prêt à se battre derechef, sans l’incommodité qu’il recevait, ses habits étant si crottés qu’il n’osait se remuer. Son ami le mena à un petit village pour le faire dévêtir, et moi, je m’en retournai cependant à Paris pour faire panser ma plaie.

Je rapportai ce qui m’était advenu à Clérante, qui le publia au désavantage de Bajamond et dit même la bonne cause que j’avais, vu que ce comte m’avait voulu faire assassiner par la plus méchante trahison du monde pour un sujet fort petit. Le roi même en sut des nouvelles et en fit beaucoup de réprimandes à Bajamond. Il n’y eut pas jusqu’à notre fou de Collinet qui ne lui dit qu’il avait un extrême tort.

D’un autre côté, l’on fit beaucoup d’estime de moi (je le puis dire sans vanterie) et l’on admira la courtoisie dont j’avais usé envers mon ennemi, ne le voulant pas tuer lorsque je le pouvais faire, encore que les offenses que j’avais reçues de sa part m’y conviassent ; aussi fallait-il certes que j’eusse beaucoup d’empire alors sur mon âme pour l’empêcher de se laisser mener par les impétuosités de la colère.

Le roi m’affectionna plus que jamais pour cette occasion, et prisa davantage ce qui venait de moi que ce qui venait des autres.

Il trouvait très bons les discours que je faisais en sa présence, et me donnait la licence de parler, soit en bien ou en mal, de qui je voudrais, sachant bien que je ne blâ-