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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/375

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merais personne qui ne méritât de l’être. Je fis une fois courir une satire que j’avais faite contre un certain seigneur dont je n’y mettais pas les qualités ni le nom. Il y en eut un autre qui s’imagina que c’était pour lui et en fit des plaintes à Sa Majesté, qui me dit en riant ce qu’on lui avait rapporté de moi.

— Sire, lui dis-je en particulier, il est aisé à voir que celui qui se plaint que j’ai médit de lui est extrêmement vicieux ; car s’il ne l’était pas, il ne s’irait pas figurer que ces vers piquants fussent contre lui. Je ne songeais pas seulement qu’il fût au monde en composant ma satire ; et néanmoins, parce qu’il a tous les vices du monde, je n’en ai pu reprendre pas un qui ne soit en son âme. Voilà le sujet de sa fâcherie, qu’il aurait beaucoup plus d’honneur à celer craignant qu’il ne soit cause lui-même que l’on sache ses façons de vivre par toute la cour. Au reste, quand j’aurais composé ma pièce tout exprès pour lui, s’il était sage, il ne devrait pas faire semblant de s’en émouvoir. Il me souvient que dernièrement un autre seigneur fit battre un mauvais poète pour l’avoir diffamé par ses vers. Qu’en arriva-t-il, pensez-vous, Sire ? Bien pis qu’auparavant, certes ; car chacun sut que le rimeur avait reçu des coups de bâton sur son dos, par mesure et par rime aussi bonne que celle de ses vers. L’on voulut savoir pourquoi, et l’occasion en fut bientôt divulguée, si bien que l’on reconnut qu’il fallait que le seigneur eût commis les fautes qu’il lui avait attribuées ; car qu’importerait-il à un soleil si l’on l’appelait ténébreux ? Toutes les compagnies n’eurent plus d’autre entretien que celui du seigneur et du poète ; et tel n’avait pas vu