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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/383

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En cette résolution, il sortit de sa chambre avec un visage aussi peu ému que s’il eût été à un banquet. Je ne pense pas que Socrate, étant à une pareille affaire, eut l’âme de beaucoup plus constante. Il passa avec ses conducteurs par dedans des galeries et des chambres, et prêta l’oreille pour ouïr un air qu’il avait composé autrefois et que l’on chantait en un lieu prochain, il y avait ainsi à la reprise :

La jeune Belize est pourvue
D’un merveilleux nombre d’appas ;
Mais bien que Francion l’ait vue,
Je pense qu’il ne mourra pas.

Cela lui fut un bon présage et lui ayant fait juger que son trépas n’était pas si prochain, il songea à la voix qui l’avait chantée et lui fut avis qu’il en avait souvent entendu une pareille ; mais il ne se pouvait souvenir en quel endroit. Enfin voici Collinet, le fou de Clérante, qui vient encore en chantant au devant de lui, et lui accolle la cuisse[1], avec des témoignages d’affection nonpareils :

— Mon bon maître, dit-il, où avez-vous toujours été ? Il y a longtemps que je vous cherche ; il faut désormais que nous nous réjouissions ensemble.

Francion, fort étonné qui avait amené là Collinet, le fit retirer modestement, sans rire d’aucune de ses bouffonneries, et lui dit qu’il lui parlerait une autre fois. Étant arrivé à la porte de la grande salle, il vit au-dessus un cartouche entouré de chapeaux de fleurs, pour

  1. ndws : acoller la cuisse, acoller la botte, signifie saluer quelqu’un avec grande soumission, avec respect, comme quand on salue un homme qui descend de cheval, ce qui est une marque d’infériorité. Furetière, op. cit, t. I. vue 34.