Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368

nent carrière avant qu’elles soient réduites en un âge où elles n’auront plus que des ennuis.

— Je ne sais pas quelle carcasse de mort nous présente ici Raymond, répliqua ce seigneur à Francion ; mais comme vous voyez elle mange et boit plus que quatre personnes vivantes. S’il en est ainsi de toutes les autres, Pluton est fort empêché à les nourrir.

— Si cela est, dit Francion, voilà la raison pour laquelle il y en a tant qui se fâchent de mourir, c’est qu’ils craignent d’aller en un lieu où règne la famine.

Plusieurs autres propos se tinrent à table ; et après que l’on en fut sorti, Francion qui n’avait pas encore eu le loisir d’entretenir Laurette, fit tant qu’il l’aborda et eut le moyen de lui conter l’ennui qu’il avait souffert, ne pouvant jouir de la belle occasion qu’elle lui avait permis de prendre. Afin qu’il ne fût point curieux de s’enquérir quel obstacle avait rompu leurs desseins, elle sortit de ce discours, et lui dit qu’elle le récompenserait du temps qu’il avait perdu et des disgrâces de la fortune qui lui étaient advenues. Cela lui apporta une parfaite consolation.

Raymond rompant alors leur entretien, le tira à part et lui demanda s’il n’était pas au suprême degré des contentements en voyant auprès de lui sa bien-aimée.

— Afin que je ne vous cèle rien, répondit-il, j’ai plus de désirs qu’il y a de grains de sable en la mer ; c’est pourquoi je crains grandement que je n’aie jamais de repos. J’aime bien Laurette, et serai bien aise de jouir d’elle ; mais je voudrais bien pareillement jouir d’une infinité d’autres que je n’affectionne pas moins qu’elle.