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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/396

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pour éviter ce mal, l’on épouse une femme laide, pensant éviter un gouffre, l’on tombe dans un autre plus dangereux : l’on n’a jamais ni bien ni joie, l’on est au désespoir d’avoir toujours pour compagne une furie au lit et à la table. Il vaudrait bien mieux que nous fussions tous libres. L’on se joindrait, sans se joindre, avec celle qui plairait le plus ; et lorsque l’on en serait las, il serait permis de la quitter. Si, s’étant donnée à vous, elle ne laissait pas de prostituer son corps à quelque autre, quand cela viendrait à votre connaissance, vous ne vous en offenseriez point ; car les chimères de l’honneur ne serait point dans votre cervelle ; il ne vous sera pas défendu d’aller de même caresser toutes les amies des autres.

Vous me représenterez que l’on ne saurait pas à quels hommes appartiendraient les enfants qu’engendreraient les femmes. Mais qu’importe cela ? Laurette, qui ne sait qui est son père ni sa mère, ni qui ne se soucie point de s’en enquérir, peut elle avoir quelque ennui pour cela, si ce n’est celui que lui pourrait causer une sotte curiosité ? Or cette curiosité-là n’aurait point de lieu, parce que l’on considérerait qu’elle serait vaine, et n’y a que les insensés qui souhaitent l’impossible. Ceci serait cause d’un très grand bien, car l’on serait contraint d’abolir toute prééminence et toute noblesse ; chacun serait égal et les fruits de la terre seraient communs. Les lois naturelles seraient alors révérées toutes seules. Il y a beaucoup d’autres choses à dire sur cette matière, mais je les réserve pour une autre fois.

Après que Francion eut ainsi parlé, Raymond et Agathe approuvèrent ses raisons et lui dirent qu’il fal-