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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/397

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lait, pour cette heure-là, qu’il se contentât de jouir seulement de Laurette. Il répondit qu’il tâcherait de le faire. Il en était encore là-dessus, alors qu’il entra des violons dans la salle, qui jouèrent toutes sortes de danses. Toutes les plus belles femmes des villes et des villages de là à l’entour se trouvèrent à cette heure dans le château avec quelques filles remplies de toutes perfections, et quelques hommes qui savaient des mieux danser. Les cadences, les pas et les mouvements des courantes, des sarabandes et des voltes échauffaient les lascifs appétits d’un chacun. De tous côtés l’on ne voyait que baiser et embrasser et manier les plus aimables parties.

Lorsque la nuit fut entièrement venue, l’on couvrit la table d’une magnifique collation qui valait bien un souper ; car de première entrée il y avait force viandes des plus exquises, desquelles ceux qui avaient faim purent se rassasier. Les confitures étaient en si grande abondance que, chacun en ayant rempli son ventre et ses pochettes, il en demeura beaucoup dont l’on fit une douce guerre en les ruant[1] de tous côtés. Les tambours, les trompettes et les hautbois commencèrent à jouer alors dans la cour, et les violons en un lieu proche de la salle, si bien qu’avec les voix des assistants ils rendaient un bruit nonpareil. La confusion fut si grande et plaisante, que je ne vous la saurais représenter. Il me serait difficile de nombrer combien l’on dépucela de filles et combien l’on fit de maris cornards. Parmi le tumulte d’une si grande assemblée, qui empêchait de voir les absents plusieurs s’évadèrent avec leurs amantes pour aller contenter leurs désirs. Il y avait des femmes qui avaient

  1. ndws : ruer : v. act., et neutre, jeter des pierres, ou autres choses offensantes contre quelqu’un. Cf. Furetière, t. II, p. 779.