Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374

d’airs nouveaux, joignant le son de leurs luths et de leurs violes à celui de leurs voix.

— Ah ! dit Francion, ayant la tête penchée dessus le sein de Laurette, après la vue d’une beauté il n’y a point de plaisir qui m’enchante comme fait celui de la musique. Mon cœur bondit à chaque accent, je ne suis plus à moi-même. Ces tremblements de voix font trembler mignardement mon âme ; mais ce n’est pas une merveille, car mon naturel n’a de l’inclination qu’au mouvement. Je suis toujours en une douce agitation. Mon esprit et mon corps tremblent toujours à petites secousses. L’on en a vu tantôt une preuve ; car à peine ai-je pu tenir mon verre dedans ma main, tant j’avais de tremblement en tout mon bras. Aussi je ne touche ce beau sein qu’en tremblant ; mon souverain plaisir, c’est de frétiller, je suis tout divin, je veux être toujours en mouvement comme le ciel.

Ayant dit ces paroles, il prit le luth d’un des musiciens, et, les dames l’ayant prié de montrer ce qu’il savait, il commença de le toucher, et chanta cet air en même temps :

Apprenez, mes belles âmes,
À mépriser tous les blâmes
De ces hommes hébétés,
Ennemis des voluptés !

Ils ont mis au rang des vices
Les plus mignardes délices,
Et, fuyant leurs doux appas,
En vivant ne vivent pas.