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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/410

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volaille chez Raymond, lui eût appris qu’il l’avait vue.

Quand il fut entré dans la cour, il vit Laurette qui était sur une porte avec Thérèse. Incontinent il descendit de cheval ; et sa bonne femme, l’apercevant, prit sa compagne par la main et s’en alla s’enfermer dans une chambre. Il la poursuit de furie jusque-là et, trouvant visage de bois, commence à vomir son fiel par injures :

— Quel diantre de pèlerinage as-tu fait ? Hé ! chienne, l’on m’a averti de la bonne vie que tu mènes céans. Par la morbieu ! si je te tiens une fois, je te punirai comme il faut ! Tu as ici goûté à cœur soûl des plaisirs avec les hommes, et je m’assure qu’il n’y a pas jusqu’aux palefreniers qui ne t’aient passé par-dessus le ventre. Mais désormais je te ferai jeûner, malgré que tu en aies, et tu n’auras pas de moi la pitance ordinaire. Comment ! tu es cause que l’on ne fait plus d’état de moi ; chacun m’appelle un sot et un janin[1], et dit que je n’ai point de courage de t’endurer tant de fredaines ; bref, je suis entièrement déshonoré. Ah ! mon Dieu, quelle injustice que l’honneur d’un homme dépende du devant de sa femme ! Tu en payeras les pots cassés, je t’en réponds !

Raymond et quelques autres accoururent au bruit qu’il faisait et, voyant que Laurette ne parlait en façon quelconque, lui dirent qu’elle n’était pas au château assurément, et qu’il avait eu quelque illusion. Après cela, ils firent tant, qu’ils l’emmenèrent tout au fond du jardin, où ils le forcèrent de jouer une petite partie aux quilles ; puis ils lui firent avaler sa tristesse avec plusieurs verres de vin, en goûtant dessous une treille.

Cependant Francion ayant dit adieu à sa Laurette,

  1. ndws : un Jean, idiotisme, un sot, un cornard, cf. Oudin, op. cit., p. 279.