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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/413

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bien si osé que de te montrer à moi ? Va, va, je vivrai encore assez longtemps pour te voir pendre quelque jour ; car tu seras pendu, je te jure. Tu as commis une plus grande faute que si tu avais voulu m’assassiner avec un couteau ; car tu as voulu m’ensevelir tout en vie. En outre, tu es un adultère, qui as souillé mon lit avec cette louve.

Cette dispute semblant fort grande à Francion, il en voulut savoir l’origine et, ayant fait taire ceux qui criaient, pria le tavernier qu’il lui contât son fait ; voici ce qu’il lui dit :

— Monsieur, il y peut avoir trois ans que je me mariai à cette diablesse que vous voyez. Il eût mieux valu pour moi que je me fusse précipité dans la rivière ; car, depuis que je suis avec elle, je n’ai pas eu un moment de repos. Elle me fait ordinairement des querelles sur la pointe d’une aiguille et crie si fort, qu’une fois, n’osant sortir à la rue à cause d’une grosse pluie qui tombait, je fus contraint de boucher mes oreilles avec des bossettes[1] et je ne sais quel bandage que je mis à l’entour de ma tête, afin qu’au moins je ne l’entendisse point, puisqu’il me fallait demeurer là. Aussitôt, elle reconnut ma finesse et, voulant que j’ouïsse les injures qu’elle me disait, se jeta dessus ma fripperie et n’eut point de cesse qu’elle ne m’eût désembéguiné ; puis, approchant sa bouche de mes oreilles, elle cria dedans si fort, que huit jours après j’en demeurai tout hébété. Mais tout ceci n’est que jeu ; voyez comme elle est effrontée. Elle me vit une fois parler à une jeune fille de ce village ; aussitôt elle songe à la malice et, prenant le soir un couteau en se couchant,

  1. ndws : petite bosse, ici par extension boule, tampon de coton. Cf. éd. Roy, t. III, p. 41.