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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/414

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dit que par la merci-Dieu elle me voulait couper l’engin dont je faisais jouir d’autre qu’elle. À cette heure-là, j’étais en une humeur fort douce et fort patiente : « Ne faites rien, m’amie, en votre premier mouvement, lui dis-je avec un souris, vous vous en repentiriez après. Si vous aviez perdu votre pilon, vous ne pourriez plus faire de sauce, et votre mortier serait inutile. — Ne te soucie point, vilain, me dit-elle ; je n’ai que faire de ton bel instrument, je n’en chômerai point, j’en trouverai assez d’autres plus vigoureux. » Dites-moi, monsieur, si vous ouïtes jamais parler d’une telle impudence ?

« Cependant je la souffrais sans la frapper, et je pense que, si sa colère ne se fût point apaisée, j’eusse aussi enduré qu’elle m’eût rendu eunuque. La menace qu’elle m’avait plusieurs fois faite de prendre un ami fut exécutée : elle choisit ce jeune galoureau-ci pour la servir à couvert. Mais, bon Dieu ! fut-il jamais une misère pareille. Je porte bien la folle enchère du tout. Au lieu que les amoureux ont accoutumé de donner quelque chose à leurs dames, celui-ci, qui n’est qu’un gueux, voulut que ma femme lui fît beaucoup de présents pour le payer du plaisir qu’elle prenait avec lui. Elle lui baille de quoi se nourrir et de quoi se vêtir ; j’ai même remarqué plusieurs fois dessus lui de mes vieilles besognes. S’il y a dans ma cuisine quelque bon morceau que je gardais pour mes hôtes, le galant en refaisait son nez, comme s’il eût fallu que je lui eusse donné du salaire pour avoir rembourré le bas de cette gaupewkt.

« Un jour, revenant des champs, je la trouvai ici comme il lui léchait le morveauwkt ; Dieu sait quel crève-cœur j’en