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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/415

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eus ! J’arrêtai mon ruffien lorsqu’il s’en allait, et lui dis : « Par la morgoy, que viens-tu faire céans ? Que je ne t’y retrouve plus, autrement je te déchiquetterai plus menu que chair à pâté. Je me doute que tu viens ici voir ma femme ; la penses-tu mieux fouailler que moi. Çà, çà, fais exhibition des pièces dessus cette assiette ; mesurons celui qui en a le plus. » En disant cela, je lui montrai ma lance, devant laquelle la sienne n’osa paraître. Il s’en alla plus penaud qu’un fondeur de cloches, sachant bien qu’il n’était pas plus capable que moi d’assouvir une femme ; néanmoins il y revint plusieurs fois, non pas tant à cachette que je n’en eusse connaissance.

« Cela me fâcha tellement, que je jurai à cette putain que je me laisserais mourir assurément avant que l’année se passât, afin de me délivrer de tant d’angoisses ; elle en devint encore plus méchante, ne souhaitant rien autre chose que de me voir sortir d’ici, les pieds devant. Toutes les fois que nous nous querellions, elle me disait : « Eh là ! Robin, que n’accomplis-tu ton serment ? Que ne meurs-tu, pauvre sot ? Vois-tu pas bien que tu es inutile au monde ? Les vignes ne laisseront pas de fleurir pour ton absence ; tu ne sers qu’à en perdre les fruits. » L’année était déjà écoulée, lorsqu’elle a commencé à me faire meilleure chère que de coutume, prenant résolution, comme il est à présumer, de voir sans dire mot, si je serais si fou que de me désespérer pour elle. Je connus son intention, et, pour savoir quelle affection elle me portait et ce qu’elle pourrait faire et dire si j’étais mort, je me délibérai de le contrefaire.

« À cela m’a servi beaucoup un mien compère qui, pen-