Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
390

dant que j’étais à son logis, est venu dire qu’après avoir avalé je ne sais quoi, que j’avais détrempé dans un verre avec du vin blanc, je m’étais jeté sur un lit, où je tirais à la fin. Cette nouvelle n’a point attendri son cœur ; elle a répondu qu’elle avait si grande faim de dormir, qu’elle ne pouvait se relever sans se faire un grandissime tort. Voyant cela, nous avons attendu jusqu’à ce matin à mettre à fin notre entreprise. Il m’a porté céans avec un de ses valets et m’a mis sur ce lit-ci, où je me suis toujours tenu roide comme un trépassé. « Voilà votre mari mort, ç’a-t-il dit à ma femme, je suis fâché que vous n’ayez été présente lorsqu’il a rendu l’âme ; vous eussiez su sa dernière volonté, et eussiez vu de quelle diligence j’ai tâché de l’assister. — Hélas ! mon Dieu ! est-il mort, le bonhomme ? lui a-t-elle répondu en gémissant. À grand’peine pourrait-on en rencontrer un qui l’égalât en douceur de naturel. Contez-moi ce qu’il vous a dit, étant proche de sa fin : ne me le celez point. Cela me servira de consolation. — Vous vous trompez bien fort, lui a-t-il répliqué : cela vous servira de remords de conscience toute votre vie, si vous avez une âme pitoyable et soigneuse de son salut. Mon bon compère m’a dit que vous étiez cause de son trépas, et qu’il s’y laissait aller comme à un refuge qui était suffisant de le garantir des ennuis qu’il endurait en votre compagnie. — Hélas ! que je suis malheureuse ! a-t-elle dit. Quelle mauvaise chère lui ai-je faite ? Faut-il qu’il soit mort avec une rancune contre moi ! Il ne priera pas Dieu pour moi en l’autre monde. Sainte Marie, nos voisins savent bien le bon traitement que je lui ai fait ; il y avait plus d’un mois que nous n’a-