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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/417

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vions eu de noise. Fili David[1], j’étais si prompte à exécuter tous ses commandements, que je pensai avant-hier me rompre le cou en descendant les montées pour lui aller querir son vin du coucher ; hélas ! le pauvre homme, il n’a point bu depuis en ma compagnie et n’y boira jamais. »

« Mon compère lui a laissé achever ses doléances et s’en est allé hors de céans, afin qu’elle fît sans fiction ce qui était de sa volonté. Dès qu’il a été dehors, elle a envoyé querir cette femme que vous voyez, qui n’est pas meilleure qu’elle, et ensemble son adultère. « Mon mari est mort, ma commère, lui a-t-elle dit. — Hé bien ! voilà bien de quoi pleurer ! lui a-t-elle répondu ; êtes-vous folle ? Ne vous souvenez-vous plus des souhaits que vous avez faits si souvent ? — Oui-da, ma bonne amie, a-t-elle répondu ; mais que diraient les gens si je ne pleurais point, puisque c’est la coutume de pleurer ? Pour moi, je m’en acquitte fort bien quand je veux, encore que j’aie tout sujet de rire. Je n’ai que faire de tenir des oignons dans un mouchoir et de les approcher de mes yeux ; je ne désire point louer les pleureuses, comme on fait aux bonnes villes. » Après cela, ses larmes ont cessé de couler, s’il est ainsi qu’elle en ait jeté. « Ma foi, il a bien fait de mourir, a-t-elle dit alors ; car je l’eusse fait bientôt ajourner pour ce faire, vu qu’il m’avait donné promesse dès longtemps de déloger d’ici. Je m’imagine qu’il eût été condamné, si nos juges sont équitables. Ne suis-je pas heureuse maintenant ? Tout ce qui est céans est à moi. Il m’a donné tout par contrat de mariage. Je l’ai bien gagné, par saint Jean, pour le mal que j’ai eu

  1. ndws : Fils de David, expression tirée du Nouveau Testament., cf. éd. Roy, t. III, p. 47.