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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/423

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à cheval, il monta aussi sur le sien, et sachant qu’il prenait un même chemin que lui, il s’offrit à l’accompagner. Le premier discours qu’il lui tint fut une louange qu’il donna à sa libéralité ; de ce propos-là il tomba sur l’avarice, de laquelle il disait qu’il ne pouvait fournir d’exemple plus remarquable qu’un gentilhomme qui demeurait à un village où ils iraient au gîte le lendemain.

— C’est le plus vilain que la terre ait jamais porté, disait-il en continuant ; ses sujets sont bien malheureux d’avoir un tel seigneur que lui : il les pille en mille façons. L’année passée, il fit accroire qu’il avait envie d’aller à la guerre pour le service du roi, et il fallut que ces pauvres gens lui donnassent deux bons chevaux ; toutefois il n’y alla point et fut seulement un mois à la cour.

Il leur eût envoyé des gendarmes de la compagnie de quelqu’un de ses amis, pour assouvir la mauvaise volonté qu’il a contre eux, n’eût été que, songeant à son profit, il aimait mieux les voler lui-même, et eût été marri que l’on les eût rendus si pauvres qu’il n’eût plus eu de quoi rapiner. À peine pourriez-vous croire combien il les bat et leur fait coûter d’argent, lorsqu’ils ont ramassé quelques buchettes qui se trouvent autour de son bois. Quand il a des ouvriers à la journée, il retarde à sa fantaisie une horloge de sa maison et les fait pour le moins travailler deux heures plus qu’ils n’ont de coutume autre part. Il nourrit tous ses serviteurs le plus mesquinement du monde, et jamais personne ne s’est pu vanter d’avoir banqueté chez lui. Lorsque ses amis (s’il est ainsi qu’il en ait) le viennent voir par la porte de devant, peur d’être contraint de les recevoir, il sort par sa porte