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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/424

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de derrière et s’en va se promener dans des lieux écartés, où il est impossible de le trouver.

Voyant ses enfants devenir grands, il s’en plaignait une fois, au contraire de tous les autres hommes qui sont fort aises de la croissance des leurs, parce qu’ils espèrent d’en avoir bientôt un parfait contentement, les voyant mariés ou pourvus de quelque éminente qualité ou remplis de quelque signalée vertu. Sa raison était que désormais il faudrait beaucoup d’étoffe pour les habiller. Quant à lui, jamais il ne s’habille que les fêtes et les dimanches, qu’il aille paraître dans l’église de son village ; encore met-il une chiquenillewkt de toile par-dessus ses vêtements dès qu’il est à la maison ; et si, à peine ose-t-il se remuer, tant il a peur de les user en quelque endroit. Les jours ouvriers, il ne se couvre que de haillons.

— Il me semble, dit Francion, que vous avez appelé ce personnage-ci gentilhomme ; croyez-vous en bonne foi qu’il mérite ce titre, puisqu’il vit d’une si vilaine façon ? Un des principaux ornements de la noblesse, c’est la libéralité.

— Monsieur, répondit celui qui l’accompagnait, je reconnais que j’ai failli de l’avoir nommé gentilhomme, encore qu’il ait plusieurs seigneuries ; car même il ne l’est pas d’extraction. Son père était un des plus grands usuriers de la France et ne s’adonnait qu’à bailler de damnables avis au Conseil et à prendre quelques partis. Néanmoins les enfants de celui-ci, qui sont un garçon et une fille, l’un de l’âge de vingt ans, l’autre de dix-huit, ne tiennent en rien du monde des humeurs de leur race. Ils ont des âmes assez généreuses. C’est dommage qu’ils