Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34

les raisons qu’il avait données ne valaient rien du tout, et qu’elles étaient plutôt fondées sur des maximes de l’hôtel de Bourgogne que sur des maximes des écoles de médecine. Là-dessus il vint à lui discourir en termes de son art, barbares et inconnus, pensant être au suprême degré de l’éloquence en les proférant, tant il était blessé de la maladie de plusieurs, qui croient bien parler tant plus ils parlent obscurément, ne considérant pas que le langage n’est que pour faire entendre ses conceptions, et que celui qui n’a pas l’artifice de les expliquer à toutes sortes de personnes est taché d’une ignorance presque brutale. Francion, ayant eu la patience de l’écouter, lui dit que tous ses aphorismes n’empêcheraient pas qu’il se levât ; mais toutefois qu’il ne boirait point de vin, et que ce qu’il en avait dit n’était que par manière de devis.

— C’est à faire aux âmes basses, continua-t-il, à ne pouvoir de telle sorte commander sur eux-mêmes qu’ils ne sachent restreindre leurs appétits et leurs envies ; pour moi, bien que j’aime ce breuvage autant qu’il est possible, je m’abstiendrai facilement d’en goûter, et ferais ainsi de toute autre chose que je chérirais uniquement.

— Votre tempérance est remarquable, repartit le chirurgien. Je n’ai pas les ressorts de l’âme si fermes qu’ils puissent ainsi commander à mon corps ; car je vous assure bien que, quand Hippocrate même m’aurait dit que l’usage du vin me serait nuisible, je ne m’en priverais pas, et que, quand l’on me mettrait auprès d’une fontaine d’eau, je ne laisserais pas de mourir de soif.