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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/61

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Mais, monsieur, poursuivit-il, il n’est pas croyable que vous ne sentiez maintenant du mal, et si vous ne vous pouvez pas tenir de rire et de vous gausser.

— Si vous me connaissiez particulièrement et si vous saviez de quelle sorte un homme doit vivre, vous ne trouveriez rien d’étrange en cela, lui répondit Francion ; mon âme est si forte et si courageuse, qu’elle repousse facilement toute sorte d’ennuis et jouit de ses fonctions ordinaires parmi les maladies de mon corps.

— Monsieur, reprit le chirurgien en se souriant, vous me pardonnerez si je vous dis que vous m’obligez à croire que l’opinion que l’on a de vous en ce village-ci est véritable, qui est que vous êtes très savant en magie ; car autrement vous ne supporteriez pas, si patiemment que vous faites, le mal que vous avez. L’on dit même (je ne le saurais croire pourtant) que tout ce qui est arrivé cette nuit chez Valentin s’est fait par votre part ; que vous avez métamorphosé la servante du logis en garçon ; que vous l’avez rendue muette ; et que vous n’avez pas véritablement une plaie à la tête, mais que vous abusez nos yeux. Ce qui donne ces pensées-là aux bonnes gens est que l’on n’a pu trouver la cause de pas un de tous ces succès.

Cette plaisante imagination mit tellement notre malade hors de soi, qu’il pensa mourir de rire. Là-dessus, il acheva de s’habiller, et s’assit à la table avec le chirurgien, qui ne demanda pas mieux que de dîner avec lui.

— Or çà, monsieur, lui dit Francion, ne savez-vous point si je suis maintenant en la bonne grâce de Valentin ? En quelle manière parle-t-il de moi ?