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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/64

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inquiété. L’hôte attacha deux cerceaux à sa charette pour soutenir une couverture et, ayant mis au fond toutes les besognes[1] de Francion, il l’avertit qu’il était l’heure de partir. Il monta dedans où il se coucha dessus la paille, cependant que l’on le tirait hors la taverne par une porte de derrière, qui rendait parmi les champs ; son valet allait après, monté sur son cheval ; et en cet équipage, ils traversèrent le pays, sans que personne du village les vît.

Le bon fut que quelques-uns retournèrent à l’hôtellerie aussitôt qu’ils en furent partis, et, ne les trouvant point dedans leur chambre, ni en pas un autre lieu, eurent opinion qu’ils étaient disparus par art de nigromance.

Pendant le chemin, Francion se mettait à discourir, tantôt avec un jeune garçon qui conduisait la charrette, et tantôt avec son serviteur.

— Quand je songe aux aventures qui me sont arrivées ce jour-ci je me représente si vivement l’instabilité des choses du monde, qu’à peine me puis-je tenir d’en rire. Cependant j’en ai pour mes vingt écus et pour une bague que j’ai perdue, je ne sais en quelle sorte. Il faut que ceux qui m’ont porté ce matin à l’hôtellerie aient fouillé dedans mes pochettes. Un remède contre ce mal, c’est d’avoir de la patience, dont je suis, Dieu merci, mieux fourni que des pistoles. Mais considérez un peu l’agréable changement ; il n’y a pas longtemps que j’étais couvert d’habillements somptueux, et maintenant j’ai une cape de pèlerin ; je couchais sous les lambris dorés des châteaux, et je ne couche plus qu’aux fossés, sans aucun toit ; j’étais sur des matelas de satin bien

  1. ndws : besogne chose dont on a besoin, apprêt nécessaire, cf. éd. Roy, t. I, p. 40, qui renvoie à Huguet, op. cit., p. 39.