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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/65

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piqués, et je me suis trouvé dedans une cuve pleine d’eau, pensez pour y être plus mollement ; je me faisais traîner dans un carrosse, assis sur des coussinets, et voici que je suis encore trop heureux d’avoir pu trouver une méchante charrette, où je me vautre dedans la paille, de telle sorte que je ne mériterai jamais le nom de paillard à plus juste raison.

Son serviteur lui répondit le mieux qu’il lui fut possible, afin de lui donner la consolation qu’il prenait bien lui tout seul.

— Monsieur, poursuivit-il, je ne me fâche que de ce que je vous vois ainsi là-dedans ; cela n’est guère honorable. Aussi, pour conduire les criminels au supplice avec plus d’ignominie, l’on les met dans une charrette. Je n’étais pas d’avis que vous entrassiez en celle-là.

Francion répondit là-dessus qu’il sentait plus de mal que l’on ne pense en l’entendant ainsi goguenarder, et qu’il n’avait pas assez de force pour se tenir à cheval.

Il aperçut que la nuit venait petit à petit, mais il ne s’en mit point en peine, parce que le charretier lui assura qu’il n’y avait plus qu’une demi-lieue jusques au bourg ; et de fait il disait la vérité. Néanmoins, ils n’y purent pas arriver, d’autant qu’une de leurs roues eut quelque chose de rompu. Ils passaient de fortune alors par un petit village où ils furent contraints de s’arrêter devant le logis d’un charron ; mais l’obscurité couvrait l’hémisphère entièrement auparavant que leur charrette fût raccommodée, de sorte qu’il leur fallut chercher un gîte. Ils s’en allèrent droit à la taverne du lieu, qui était fort mal pourvue de toutes choses et, ayant pris là un