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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/68

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me donnent une extrême envie de savoir qui vous êtes, de quel pèlerinage vous venez, et qui c’est qui vous a blessé à la tête comme je vous vois.

— De vous faire maintenant connaître tout à fait qui je suis, et vous réciter beaucoup d’aventures qui me sont arrivées, je ne le puis pas faire, dit Francion, à cause que je n’ai pas le temps qu’il me faudrait pour une semblable traite ; et puis je désirerais bien me reposer. Je vous dirai seulement les dernières choses qui me sont advenues, dont vous ne laisserez pas, je m’assure, d’être infiniment satisfait. Encore qu’il semble que l’on devrait celer tout cela, librement je vous le découvrirai de tout point, d’autant qu’il m’est aisé à voir que je ne puis confier mon secret plus assurément.

Sachez donc que je m’appelle Francion, et qu’étant il y a quelques jours à Paris, non point en l’habit que vous m’avez vu, mais en celui de courtisan, je rencontrai en faisant la promenade à pied par les rues, une bourgeoise, la plus aimable que je vis jamais. Aussitôt la fièvre d’amour me prit avec une telle violence, que je ne savais ce que je faisais. Le cœur me battait dedans le sein plus fort que cette petite roue qui marque les minutes dans les montres ; mes yeux étincelaient davantage que l’étoile de Vesper et, comme s’ils eussent été attirés par une chaîne à ceux de la beauté que j’avais aperçue, ils les suivaient tout partout. La bourgeoise était mon pôle, vers lequel je me tournais sans cesse ; en quelque endroit qu’elle allât, je ne manquais point à y porter mes pas. Enfin elle s’arrêta dessus le pont au Change, entra dans la boutique d’un orfèvre.